Série Portraits de famille
Series Family Portraits
Familles des enfants de La Source-La Guéroulde dans l’Eure.
Hugo Miserey, une humanité universelle
Qui sont-ils ? Ils sont là devant nous. Nous fixent du regard. Nous ne les connaissons pas nécessairement, et pourtant il nous semble les reconnaître. Non pas les connaître, simplement partager avec eux quelque chose de familier. D’une présence chaleureuse, affable, invitante. Peut-être les avons-nous croisés, un jour, et avons-nous échangé de tout et de rien – et voilà qu’à la vue de ces portraits de groupe, leur souvenir refait surface. Peu importe la vérité. Ils sont là devant nous et nous ne pouvons pas nous empêcher de penser que nous les reconnaissons.
La photographie a ce pouvoir de jouer du temps et de la mémoire. De déjouer l’implacable mouvement de celui-là et de subvertir la certitude de celle-ci. Dans sa façon de fixer l’image de l’autre, des autres, Hugo Miserey compose avec ces données-là. Ses portraits n’ont pas pour objectif de décrire mais de suggérer. Son art procède non du principe de la représentation mais de la présence – pour le dire exactement, non de la mimesis, mais de la metexis.
Sitôt que la photographie est apparue dans la première moitié du XIXe siècle, elle n’a pas tardé à s’imposer comme l’un des modes privilégiés du genre du portrait. La peinture qui était jusqu’alors son territoire de prédilection a vite perdu la main d’autant que la bourgeoisie nouvellement arrivée au pouvoir s’en est emparée pour lui réclamer de contribuer à la promotion de son image. Avec le temps, la photographie a connu toutes sortes de développements aussi bien techniques que de contenu et son iconographie s’est enrichie de toutes sortes de sujets témoignant de la vie, saisie dans le flux du quotidien.
S’ils sont singuliers et présentent les marques d’une signature, les portraits d’Hugo Miserey sont intelligents de tous ces avatars de l’histoire de la photographie pour ce que toute création d’œuvre ne peut que prendre en compte les exemples du passé. Le soin de leur mise en scène réfère à celui qu’accordaient jadis les aînés de l’artiste à représenter leurs modèles dans un décor factice choisi par eux. Miserey saisit les siens, quant à lui, dans leur intérieur même, sinon au dehors, dans un rapport de proximité avec leur lieu de vie, brossant ainsi le portrait par tout ce qui objectivement – voire matériellement – les constitue.
L’art d’Hugo Miserey est requis par l’humain. Mais, à la différence des portraits anciens, ses modèles ne sont pas des figures publiques, identifiables, reconnues pour tels ou tels faits et gestes. Ce sont des personnes communes, anonymes, sans histoire particulière. Ils n’en méritent pas moins une grande attention parce qu’ils sont les héros d’une humanité universelle, ceux-là même qui forment le peuple de nos semblables.
A considérer les portraits de groupe que nous donne à voir l’artiste, on pourrait penser qu’ils relèvent d’un soin particulièrement élaboré de la mise en scène. C’est tout à la fois vrai et inexact. La démarche du photographe se situe dans un écart, entre ce qui paraît et ce qui est. Que ses modèles posent, rien n’est plus évident, et ils sont là, devant lui, en toute conscience du moment qui fera trace. Cela n’empêche en rien leur naturel. Mieux, Miserey n’a pas son pareil pour le faire éclater à l’instant même de la prise de vue. Il en résulte des images d’une force vive dont les protagonistes se présentent à notre regard dans une posture en forme d’invitation à découvrir une part de leur intimité.
Qu’ils soient deux, trois ou toute une tribu, femmes ou hommes, jeunes ou adultes, ils partagent tous le même souci de figurer tels qu’ils sont, chacun choisissant de paraître comme ils se sentent le mieux : celui-ci tient les mains d’un vraisemblable grand-frère, celle-là est entourée de toute sa marmaille, cet autre fait signe de son pouce. Il émane de ces portraits quelque chose d’un bonheur simple que le photographe, en toute complicité avec ses modèles, tient à restituer. Pour ce que la photographie est de l’ordre du multiple, celle d’Hugo Miserey décline une forme d’optimisme heureusement contagieux.
Philippe Piguet
Critique d’art
Commissaire d’exposition indépendant
Familles des enfants de La Source-Annonay dans l’Ardèche.
Vidéo du vernissage de l’exposition au Louvre