Série sur la verrerie Waltersperger.
Series Waltersperger glassworks.
CŒURS DE VERRE
Le spectacle des verriers au travail ne peut laisser personne indifférent. Ayant accompagné Hugo Miserey lors d’une prise de vue, Rafaèle Decarpigny nous livre ses impressions d’auteur…
Vialatte avait-il quelque idée sur le travail du verre ? L’a-t-il évoqué au fil de ses encyclopédiques chroniques ? Je ne sais plus. Sans doute aurait-il affirmé que le verre dépasse l’homme, comme selon lui toute chose à l’origine immémoriale, vaguement sorcière, voire divine.
Il semble que le verre ait toujours fait partie de la vie. Sa présence est naturelle. Depuis quatre mille ans, il n’est pas une civilisation qui n’en fasse état. On imagine fort bien un matériau mûri dans les profondeurs du sol sous le double effet de la pression et de la température élevée, enfanté, comme le diamant et l’obsidienne, par la patience des siècles. Et si pourtant il n’est rien de tout cela, nous voulons continuer à rêver. Car la naissance du verre ne peut se réduire à un cours de physique, à quelques équations, à des formules chimiques. Non ! Les explications, pour rationnelles qu’elles soient, ne satisfont pas la soif qu’à l’âme de mystères, de prodiges quotidiens qui la confondent.
C’est comme vouloir quantifier la beauté. Essayer de résumer l’amour à un théorème. Face au miracle répété du verre la science n’ose plus nous regarder. Elle se terre. L’homme a besoin d’alchimie, de grimoires. Les maîtres-verriers de Blangy le savent.
Un étrange manège de boules de feu se déroule dans le clair-obscur de l’atelier, un bâtiment où le jour écarte ses doigts pâles à travers les interstices du toit, trahissant la présence de poussières en suspension dans l’air. Le four qui souffle, énorme locomotive de tôles et de briques enchaînée au centre de l’atelier, mijote à mille quatre cents degrés la matière en mutation et impulse au travail le rythme de ses exigences. Un bruit de forge couvre les voix, des ventilateurs brassent l’air, la chaleur qui rayonne fouette les visages, envahit l’atelier, submerge hommes et machines, privés d’échappatoire. On se dit qu’il s’agit là d’un culte rendu à un dieu grondant et crachant, quelque divinité maya à la face fendue d’un sourire sanguinaire, prodiguant – mais au prix de quels sacrifices – l’or bouillonnant.
Minium, silice, potasse, oxyde de plomb. Voici l’armée des composants barbares. Comment concevoir le cristal, avant sa métamorphose, sous la forme d’une poudre orange cru ? Sous la violence de la chaleur l’opacité devient transparence… Comme dans l’éblouissement des premiers instants du monde s’opère le mélange intime, indissociable de la lumière avec la matière. Le flacon que je tiens à la main, qui accorde à mon parfum son contenant, c’est à dire sa forme tangible, autre qu’olfactive, et emprisonne un rêve, se souvient-il qu’il fut ce sable dense ? Et ce cendrier opalin où échouent les résidus des tristes substances, qui inondent nos poumons, de nos maudites habitudes ? …
Rudesse et délicatesse fusionnent dans l’art du feu autour de nous évoluent des Cyclopes orfèvres. Le cueilleur prélève dans la gueule rouge du pot la pâte incandescente au moyen de la mort, tige de métal garnie d’un tampon d’argile : seuls intermédiaires entre l’homme et son brûlant chargement. Là s’achève l’aventure thermodynamique eu verre. Là commence la transformation qui lui donnera sa forme définitive. Sa docilité dépend de la main qui le modèle. La pâte rebelle et fantasque daigne ainsi se plier aux désirs des hommes. Se laisser apprivoiser. Elle sera moulée, étirée, cisaillée, chauffée de nouveau. Sur son escabeau un étonnant démiurge, à la force de la bouche, noie une bulle d’air au cœur de l’embryon vitreux. D’une seule bouffée d’haleine il insuffle une âme à la matière, l’arrache à sa condition minérale. Nous croyions la technique révolue, perdue, elle témoigne à Blangy d’une vitalité tenace.
Brûler une étape est exclu. Chacune d’elle est irremplaçable, elle a son importance, et, bien plus que cela, son sens. Les gestes se synchronisent en un ballet précis. De leur étroite interdépendance naît la solidarité entre les hommes qui les accomplissent. On ressent l’élan commun, le faisceau des efforts aimantés par un seul but. Une spectaculaire, irrésistible bravade consiste à allumer sa cigarette à même la sphère à peine sortie du four. Mais la désinvolture masque la vigilance extrême. L’inattention peut coûter cher. De ce labeur inlassable émane un souci constant de perfection, comme si chaque pièce réalisée remettait en question son créateur, comme si la valeur de ces artistes serviteurs du verre devait se renouveler avec elle.
Le visiteur des lieux voudrait questionner la mémoire de la brique réfractaire, de l’argile poreuse des pots, mémoire de la poussière et des murs gavés d’images. Mémoire des hommes, surtout, qui berce tant de secrets transmis et farouchement gardés, tant de rêves cristallisés. On tente de capter des traces superposées, enchevêtrées que le temps a rendu presque palpables. La photographie nous confère le pouvoir de figer l’instant, de l’isoler, de le clouer comme un corbeau à une porte. Elle révèle la présence de ces traces, les projette comme un hologramme pour en restituer l’intégrité, pénètre au-delà de la surface des choses. On y plonge, dans la brève étincelle d’un regard. Sur fond de poussières, chaleur et autres ingrédients infernaux, des visages, des sourires défilent, volés aux mailles du temps.
Les images rendent hommage au travail de ces hommes. Comme dans un discret murmure elles le magnifient. L’on s’interroge. Et on comprend. Ceux qui œuvrent ici ont choisi. Un très ancien et très noble savoir-faire est en jeu : ils en sont les dépositaires. Les maîtres. A Blangy sur Bresle, ils veillent gravement sur la pérennité d’une galaxie où gravitent d’innombrables soleils oranges, une île où le temps se dilate et s’étire pareil au verre fluide, suspendue au centre de la vie qui nous bouscule, du fleuve qui nous emporte.
Rafaèle DECARPIGNY – septembre 1996
HEARTS OF GLASS
The show glassmakers at work can not leave anyone indifferent. Having accompanied Hugo Miserey during a shooting Rafaèle Decarpigny gives us his impressions copyright …
Vialatte Was there any idea about glass work? He has raised over The chronicles of his encyclopedic? I do not know anymore. No doubt he would have asserted that glass beyond man, like he said anything to the immemorial origin, vaguely witch or divine.
It seems that the glass is always part of life. His presence is natural. For four thousand years, it is not a civilization that do not state. One imagines a well matured material into the depths of the soil under the double effect of pressure and high temperature, birth, like diamond and obsidian, through patience centuries. And if yet it is none of this, we want to continue dreaming. For the birth of the glass can be reduced to a physics course, a few equations, chemical formulas. No ! The explanations for rational they are, do not satisfy that thirst of the soul mysteries of daily miracles that confound.
It’s like trying to quantify beauty. Trying to sum up love in a theorem. Faced with repeated miracle of glass science dare not look at us. She earth. Man needs alchemy, grimoires. The master glassmakers of Blangy know.
A strange fireball ride takes place in the twilight of the workshop, a building where the day spreads her pale fingers through the roof gaps, betraying the presence of dust in the air. The furnace blowing, huge locomotive plates and brick chained to the workshop center, simmering to 1400 degrees changing the material impulse at work and the pace of its requirements. A blacksmith covers the sound of voices, brew fan air, the heat radiating faces whips, invaded the workshop overwhelms men and machines, private escape. We say that this is a worship of a god snarling and spitting, a Mayan god the split face of a bloodthirsty smile, lavishing – but at the cost of what sacrifices – the bubbling gold.
Minium, silica, potash, lead oxide. Here the army of barbarians components. How to design the crystal, before its metamorphosis in the form of an orange powder believed? Under the violence of the heat opacity becomes transparent … As in the glare of the first moments of the world takes place the intimate mixture inseparable of light with matter. The bottle I hold in my hand, my perfume that gives its container, ie its tangible form, other qu’olfactive and imprisons a dream, he recalls that he was this dense sand? And opal ashtray which fail residues sad substances that are flooding our lungs, our cursed habits? …
Roughness and delicacy merge in the art of fire around us evolve Cyclops goldsmiths. The picker fee in the red mouth of the incandescent paste pot by death metal rod topped with a clay buffer: only intermediaries between man and his hot load. Here ends the thermodynamic adventure had glass. Here begins the transformation that will give it its final shape. Docility depends on the hand that the model. The rebel pulp condescend and whimsical and bend to the desires of men. Be tamed. It will be molded, stretched, sheared, reheated. On his stool amazing demiurge, force mouth, drowning an air bubble in the heart of the glassy embryo. On one puff of breath he breathes soul to matter, torn from its mineral condition. We believed the bygone art lost, it testifies to Blangy a tenacious vitality.
Burn a step is excluded. Each one is irreplaceable, it is important, and, more than that, its meaning. The gestures are synchronized by a specific ballet. Their close interdependence born of solidarity between people who perform them. The common impulse is felt, the beam of efforts magnetized by a single goal. A dramatic, irresistible bravado is to light a cigarette even in the sphere just out of the oven. But the casualness mask extreme vigilance. Inattention can be expensive. This tireless work emanates a constant concern for perfection, as if each piece produced questioned its creator, as if the value of those glass artists servants had to renew with it.
The visitor places would question the memory of the refractory brick, porous clay pots, dust memory and walls crammed with images. Memory of men, especially, that rocks so transmitted and fiercely guarded secrets, so many dreams crystallized. It tries to capture traces superimposed, tangled that time has made it almost palpable. Photography gives us the power to freeze the moment, to isolate it, to nail it like a crow to a door. It reveals the presence of these traces, the projected as a hologram to restore the integrity penetrates beyond the surface of things. It is immersed in the brief spark a glance. Amid dust, heat and other hellish ingredients, faces, smiles parade, stolen mesh time.
The images pay tribute to the work of these men. As in a discreet murmur they magnify. The one wonders. And it is understandable. Those who work here have chosen. A very old and very noble expertise is at stake: they are the custodians. The Masters. A Blangy sur Bresle, they ensure the sustainability seriously of a galaxy where gravitate countless orange suns, an island where time expands and stretches like fluid glass, suspended at the center of life that challenges us, the river that carries us.
Rafaèle DECARPIGNY – September 1996